Si la numérisation des processus d'achats se présente comme une perspective engageante, elle exige une importante réflexion et planification stratégique en amont.

Nous avons interrogé quatre directeurs des achats à l'occasion de notre récente étude intitulée « Fonction achats 2025 : la transformation numérique améliore-t-elle l'efficacité des achats ? », réalisée en partenariat avec l'Université de Cranfield. Au cours de cet entretien, ces dirigeants ont décrit l'utilisation qu'ils ont faite des technologies pour améliorer leurs processus d'achats, l'expérience qu'ils en ont retirée et les défis auxquels ils ont fait face.

 

Colum Colbert, Directeur des services achats de Paddy Power Betfair

Lorsque j'ai intégré le service achats européen de PPB au début de l'année 2017, notre empreinte technologique était limitée. Elle se cantonnait à des outils de génération de bons de commande, de gestion des contrats et d'évaluation des risques de crédit côté fournisseurs. J'ai reçu pour mission de concevoir une stratégie technologique destinée à atteindre l'excellence en matière de service achats. 
 
J'ai commencé par étudier les secteurs de l'activité d'achats pour lesquels des technologies étaient déjà disponibles sur le marché. Puis, j'ai identifié celles dont nous avions besoin, ainsi que les fournisseurs des solutions capables de répondre le mieux à nos exigences.
 
L'un de mes premiers constats a été que l'investissement dans des technologies devrait se faire uniquement à la condition que nos processus existants soient suffisamment matures pour les systèmes envisagés. L'une de nos plus grandes craintes est de gaspiller de l'argent en achetant quelque chose qui ne soit pas vraiment approprié ou nécessaire, et de ne pas nous en servir. Nous évitons donc de consacrer des sommes colossales à l'acquisition d'un système d'achats de type ERP à grande échelle dont les fonctionnalités ne seraient pas toutes nécessaires ou adaptées. Nous sommes davantage sélectifs dans notre approche et choisissons uniquement les composants souhaités, au moment opportun. Dans certains cas, nous achetons simplement une licence afin de tester une solution autonome pendant un an, avant de décider d'élargir ou non notre investissement.
 
À la mi-2018, notre investissement en termes de systèmes avait été étendu aux domaines suivants :                 
  • Analyse des dépenses (nous procédons désormais à des analyses de dépenses non seulement pour l'Europe, mais aussi pour nos activités mondiales en Australie et aux États-Unis)
  • Rapports sur le marché
  • Gestion de catégorie
Tous ces systèmes étaient des offres autonomes prêtes à l'emploi qui n'ont pas engendré d'énormes dépenses. Pourtant, nous les exploitons toutes dans le but de développer nos stratégies de gestion de catégories et d'économies à échelle mondiale. Elles illustrent en elles-mêmes le fait que des systèmes variés et peu coûteux peuvent être exploités en toute cohérence pour soutenir nos objectifs stratégiques.
 
Fin 2018, nous avons poursuivi notre parcours. Nous sommes actuellement en train de mettre au point un outil d'approbation et de gestion de contrat intégré. Nous entendons ainsi soutenir notre objectif de renforcement de la gouvernance des dépenses, en nous assurant d'orienter celles-ci d'une manière qui ne présente pas de risque pour PPB et qui optimise la valorisation des ressources.

Craig Hill, Directeur des achats de HSBC (Royaume-Uni)

Ce sont les progrès technologiques accomplis en dehors de la fonction achats qui nous incitent réellement à reconsidérer la prestation de nos services fondamentaux. Nos collaborateurs en interne exigent de la part de la fonction achats un engagement plus ferme et plus efficace. Cette évolution résulte de nombreux facteurs, mais elle provient essentiellement de l'usage qu'ils font des technologies à l'extérieur du travail et dans leur vie quotidienne. Il se peut par exemple qu'ils achètent quelque chose en un ou deux clics lorsqu'ils sont chez eux, mais que dès qu'ils arrivent au travail, ils n'ont pas accès à la même fluidité, ce qui peut engendrer une certaine frustration.

Pour la fonction achats, nous avons examiné un certain nombre d'outils innovants et sommes en train de les tester, mais d'une manière générale, il semble que les options technologiques soient à la traîne dans ce domaine par rapport aux autres avancées que nous constatons ailleurs.

Il serait intéressant que le statu quo actuel soit remis en question par des options technologiques nouvelles en matière d'achats ; que la technologie bouleverse certains de nos processus d'achats historiques au lieu de se limiter à une simple numérisation de ce que nous faisons déjà.

Notre service a investi dans des systèmes qui visent à réduire les processus manuels à base d'impressions et à améliorer les procédures d'audit et de comptabilité pour les bons de commande et la facturation. Nous avons également simplifié les méthodes de due diligence et d’étude de risques liés aux fournisseurs en créant une plateforme unique adoptée à l'échelle mondiale.

Un autre point à prendre en considération dans votre stratégie technologique est de vous assurer que la solution retenue, quelle qu'elle soit, vous permette d'exploiter au mieux les données. L'erreur consiste à acheter une solution et à tout attendre d'elle ; il vous faut en effet investir également dans des logiciels et des personnes capables d'extraire les données depuis des systèmes hétérogènes, et d'en rendre compte d'une manière favorable à la prise de décisions plus rapide concernant votre activité.

La capacité à extraire et à présenter ces données en temps opportun et de façon pertinente permettra à la fonction achats d'acquérir peu à peu le statut de véritable partenaire stratégique au sein de l'entreprise.

Jason Busch, fondateur d'Azul Partners et cofondateur de Spend Matters

En l'an 2000, les technologies de sourcing ne fonctionnaient pas exactement telles qu'elles étaient vendues « en l'état ». Depuis, les technologies d'achats, et notamment les capacités d'analyse des dépenses et achats offertes par le sourcing stratégique, se sont considérablement perfectionnées. Il existe pourtant des disparités énormes entre les fournisseurs, ainsi qu'en termes de caractéristiques plus ou moins adaptées à chaque situation.

Considérons d'abord la partie « demande » de l'équation. De nos jours, la technologie du sourcing stratégique se divise elle aussi en différentes catégories d'acheteurs. Les premiers, qui sont les plus efficaces, mettent en place une analyse de cas et détermine leurs besoins en termes de variables x, y, z. Malheureusement, ils ne représentent qu'une minorité. La plupart des gens acquièrent des technologies de sourcing dans le but de résoudre une difficulté particulière, en se disant par exemple : « Je n'ai pas de visibilité sur mes dépenses et j'ai besoin de connaissances de base pour élaborer une stratégie de catégorie ». Or, le fait de manquer de visibilité est probablement déjà le symptôme d'un autre problème ailleurs. Procéder à une analyse des dépenses peut être extrêmement utile, mais si la cause originelle du problème reste indistincte, vous ne cernerez pas celui-ci dans son ensemble et ne parviendrez pas, à terme, à le résoudre.

Un autre aspect susceptible d'engendrer de la frustration est la tendance à ignorer les coûts liés à la mise en œuvre, tels que ceux qui sont associés à la gestion du changement. Il se peut que vous ayez en main le bon outil, mais pas le bon modèle d'implémentation.

Par ailleurs, il se produit souvent une certaine rupture entre acheteurs et fournisseurs : les personnes qui commercialisent les technologies ne sont en effet pas toujours les mieux formées pour déterminer la solution la mieux adaptée à votre situation. De fait, les professionnels des achats ne sont pas des experts en technologies.

On a donc affaire ici à un secteur globalement très étendu et très complexe. Même les organisations qui mettent en place des soi-disant règles de bonne pratique n'en sont généralement qu'à un stade de numérisation précoce de leur fonction achats. Elles peuvent très bien avoir d'excellents outils à leur disposition, mais ne pas avoir encore cartographié l'ensemble de leurs besoins fondamentaux en fonction des capacités du marché d'offre existant, ni redéfini leurs exigences et leurs comportements d'achat d'après un ensemble optimal de fournisseurs.

Aujourd'hui, plus que jamais, il est indispensable d'instaurer une stratégie de conseil afin de mettre ces problématiques en évidence avant même de franchir le pas en termes de technologies. Si vous prenez le temps de vous poser les bonnes questions stratégiques, les meilleures opportunités vous apparaîtront clairement. Cette démarche revient quasiment à effectuer une analyse catégorielle du point de vue du sourcing : le but est de cerner toutes les nuances de cette catégorie afin de concentrer au mieux vos efforts et d'identifier les meilleurs fournisseurs en fonction de vos besoins.

De ce point de vue, les perspectives sont bonnes. Nous sommes aujourd'hui, pour les acheteurs avisés, à un âge d'or de l'acquisition de technologies. En passant ne serait-ce que quelques heures à tenter de mieux comprendre le marché des technologies d'achats à partir de différentes sources, vous saurez déjà mieux par où commencer et par quels moyens accélérer votre démarche.

Tim Coles, Directeur du pôle commercial et achats de Thames Water

Au cours des 18 derniers mois, nous avons consenti d'importants investissements à la fois en termes de technologies et de personnel dans le cadre de la transformation numérique de nos activités. Côté technologique, nous sommes passés de l'adaptation de nos systèmes d'analyse des dépenses et de suivi des bénéfices à des activités plus matures et plus sophistiquées, telles que le suivi et la prévision des marchandises essentielles et d'autres indices, afin de comprendre ce qui est à l'origine des variations des coûts, et de quelle manière elles se produisent. Nous pourrons ainsi prendre des décisions plus avisées concernant les couvertures potentielles ou les achats en vrac. Par ailleurs, nous avons récemment fait appel à des technologies pour procéder à une analyse prédictive de la demande portant sur un budget de plusieurs milliards de livres sterling, chose que nous réalisions par le passé avec des outils hors ligne.

Pour ce qui est de nos ressources humaines, nous avons développé des compétences et capacités nouvelles au sein de notre équipe afin de transformer la quantité massive de données au sein de l'entreprise en connaissances approfondies, puis en passage à l'action. Nous envisageons les problématiques avec un regard nouveau et nous efforçons de corréler différents types de données. L'un de nos principaux freins à l'innovation est le manque de temps, mais nous commençons à le surmonter en prenant le recul suffisant, en générant des connaissances approfondies et en examinant les possibilités d'agir différemment, en nous ouvrant à de nouveaux domaines.

Le concept du numérique est très intéressant, mais à condition que tous les acteurs de la chaîne d'approvisionnement œuvrent dans le même sens et se soutiennent mutuellement. La numérisation ne doit pas être un atout isolé au sein de l'entreprise. C'est notre société dans son ensemble qui entreprend un grand voyage vers le numérique. Pour en bénéficier pleinement, vous devez fédérer le soutien de toute l'entreprise.